Aujourd’hui,
à l’image des œuvres d’art les plus renommées, les très grands vins sont des
objets de convoitise très recherchés. Cette tendance (voir l’article « Vin et Luxe : une histoire ancienne ») s’est accentuée au cours de ces dernières années, tirant vers le haut les
tarifs des plus belles propriétés.
C’est
surtout à l’époque moderne que l’industrie du luxe s’est fortement développée
et principalement dans les pays européens comme la France ou l’Italie, patries
d’un artisanat d’une qualité exceptionnelle. A partir des années 1950, la
diffusion exponentielle des objets de luxe a bénéficié aux entreprises
pionnières commercialisant des voitures, des parfums mais aussi des alcools et
des vins. Le luxe étant une industrie de temps de paix, il a tout
particulièrement profité de la longue période de paix qui s’est installée
dans le monde après la seconde guerre mondiale. Au-delà de cette conjoncture
favorable, les marques de luxe se sont fortement développées grâce à la
globalisation économique dans les années 1990. En effet, l’ouverture des
marchés a permis aux entreprises du luxe de gagner de nouvelles parts de marché
à l’étranger et ainsi de se développer. Plusieurs facteurs
déterminants ont accompagné cette évolution : l’augmentation du
pouvoir d’achat, les progrès technologiques, le poids de plus en plus grand des
moyens de communication, la démocratisation et la mondialisation.
Ainsi, un
plus grand pouvoir d’achat a permis à un plus grand nombre de personnes d’accéder à l’acquisition de produits de luxe. Les progrès techniques dans la
vigne et dans les chais ont amélioré grandement la qualité des grands vins. Les
moyens de communication (internet, réseaux sociaux, twitter, etc) ont favorisé
la diffusion de l’image de marque des grands crus à travers le monde. La vague
démocratique qui a touchée de nombreux états à permis à de nouveaux consommateurs d’apprendre, de connaître les grands noms du vin. La mondialisation a
participé à la libération des échanges commerciaux et à la diminution des droits de douane dans de nombreux pays.
De nos jours,
le luxe est un concept qui touche la sphère sociologique et
psychologique : l’acheteur d’un objet de luxe agit en fonction de ses
propres valeurs et de celles véhiculées par le groupe
social auquel il appartient. Ses besoins, ses désirs, ses comportements de
consommation trouvent leurs sources dans son histoire personnelle et dans son
milieu culturel. Un
lien affectif fort et souvent inconditionnel se tisse entre une marque de luxe,
une gamme de produit et un client. Qu’il s’agisse d’une Ferrari, d’une valise Louis Vuitton ou
d’une bouteille Cristal de Roederer, les choix du consommateur sont dictés par un
ensemble de paramètres psychosociologiques. Le marketing du luxe joue sur ces
tendances comportementales pour créer, développer et faire évoluer leurs marques. Que ce soit en période de
prospérité ou de crise économique, les marques de luxe ont généralement besoin
de se développer à l’international pour subsister. En
effet, avec un marché restreint de consommateurs pouvant accéder aux produits très haut de gamme,
cette nécessité de gagner de nouveaux marchés s’impose rapidement aux
dirigeants d’une marque de luxe. Certes, ceux-ci fixent des marges très confortables (des coefficients multiplicateurs
de 8 à 12 sont classiques dans l’univers du luxe) mais ils doivent faire face à
des frais généraux souvent très élevés.
Cristal de Roederer |
Nous
pouvons ici faire une première distinction entre marketing traditionnel et
marketing du luxe : tous deux n’ont pas du tout les même visées. Le
marketing ‘traditionnel’ est un marketing de la demande. Il interroge les
comportements des consommateurs afin de créer de nouveaux besoins, de faire
croître le volume des ventes et le chiffre d’affaires ou encore de réduire la
période de réapprovisionnement des ménages. Le marketing du luxe est un
marketing de l’offre. Il n’interroge pas le consommateur pour connaître ses
choix. Il créé un produit qu’il met sur le marché. Ici, ce n’est pas le
consommateur et son avis qui priment, c’est le produit ; l’univers du luxe
repose sur le prestige des matières employées à la conception du produit, à
l’esthétique de ses formes et de ses couleurs, à l’exceptionnelle attention
portée à sa fabrication. Le prix ne fait pas le luxe mais, bien au contraire,
c’est le luxe qui fait le prix.*
A
ce titre, il est nécessaire de faire une autre distinction, celle entre objet
de ‘luxe’ et objet ‘premium’. Un
produit premium a pour objectif d’obtenir une qualité sans faille, un produit
« zéro défaut ». Une
Lamborghini appartient à la première catégorie, une Lexus à la seconde. Jusqu’à
ces dernières années les produits de soin et de beauté « Les Sources de
Caudalie » issus de la biologie de la vigne entraient plutôt dans la classe
Premium. Mais aujourd’hui la stratégie marketing de l’entreprise - qui a tissée
des liens étroits avec le château Smith-Haut-Lafitte à Martillac (Gironde) –
semble vouloir évoluer vers le secteur du luxe en lançant de nouveaux produits
à plus forte valeur ajoutée. Avec les produits vivants comme le vin, à forte évolution au cours de leur vie, la distinction entre luxe et premium est très difficile à faire. Qu'il s'agisse de vins mythiques ou de vins très bien côtés tout est une question d'image et de typicité plutôt que de qualité intrinsèque. Certains véhiculent une 'part de rêve', d'autres moins en vue ne possèdent pas de cette particularité. Un produit luxueux peut avoir quelques défauts, le
plus important réside dans la part du rêve qu’il provoque chez l’acheteur car,
le luxe se situe bien au delà de la qualité, il est avant tout émotion. Cette
dimension psychologique revêt une grande importance dans la sacralisation des
grands vins. Une simple étiquette de grand cru peut éveiller la magie du moment
à venir. Pour s’en convaincre, il suffit de poser sur une table une bouteille
de Romanée-Conti ou de Petrus pour voir les convives sortir leur téléphone
portable afin d’immortaliser l’instant. La divine bouteille devient alors la
reine de la soirée, celle dont on montrera la photo à nos connaissances et dont on parlera pendant des
jours.
Ce
qui distingue le luxe dans le secteur du vin repose sur plusieurs
dimensions :
L’historique
du domaine
La
qualité des vins
L’ADN
du cru, son identité, son originalité
La
rareté
Le
prix
L’esthétique
La
communication
Le
conditionnement
Les
services personnalisés
La
distinction sociale ressentie par l’acquéreur
Ce
sont ces dimensions que nous allons aborder au cours des articles suivants,
en abordant les thèmes du produit, du prix, de la promotion et des circuits de distribution.
*
Vincent Bastien & Jean-Noël Kapferer, Luxe Oblige, Eyrolles, Paris, 2008,2012, p. 110.
Biographie de l’auteur :
Loïc Le Roy est bordelais. Il réside à Montréal au Canada depuis 2016.
Après avoir suivi des études en marketing, techniques de commercialisation et exportation à Bordeaux, il a travaillé une dizaine d’années en tant que responsable des ventes pour un groupe agro-alimentaire international, diffusant une large gamme de produits destinés aux enseignes de la Grande Distribution. En 1989, Loïc s’oriente vers le coaching en performance auprès de capitaines d’industrie en Asie. A partir de 1994, par le biais de dirigeants d’entreprises, il met en place des formations spécifiques en préparation psychologique destinées aux athlètes de haut niveau. Son attrait pour la performance humaine l’a amené à présenter en 2008 une thèse en Sciences du Sport à l’Université de Bordeaux intitulée : « La préparation psychologique du sportif : l’esprit et la performance du Moyen Age à nos jours ».
Dès 1999, enseigne dans plusieurs écoles de commerce le management des unités commerciales, la communication et le marketing du vin.
Depuis avril 2012, il publie des articles sur son blog Mémoires de Vins
En 2014, il s'est spécialisé en "psychologie de la dégustation des vins et spiritueux" ; l'objectif étant d'aider les participants à mieux comprendre, appréhender et gérer les processus perceptifs et émotionnels à l'oeuvre au cours des dégustations.
Il conçoit et édite des programmes axés sur la performance humaine qui sont accessibles sur son site loicleroyonline.com