La qualité d’un vin de luxe repose sur une multitude de facteurs : les spécificités du terroir et des sols, les capacités de drainage, la
surface en production, l’adaptation des cépages, l’âge de la vigne, la
climatologie, les traitements de la vigne, les méthodes et la régularité du
travail sur les surfaces cultivées ; mais aussi, la méthodologie des
vendanges, les outils de production, le travail dans les chais, l’assemblage,
l’élevage et l’expertise du vinificateur. Obtenir l’excellence à l’issu de ce
long et précautionneux processus est question de constance, d’équilibre et
d’expérience. Le résultat obtenu tient souvent de la magie.
La qualité du terroir associé aux conditions climatiques et aux cépages les
mieux adaptés aux sols sont autant de facteurs qui favorisent la production
souvent les éléments de vins d’exception. Bien entendu, tous les vignobles remarquables
bénéficient de conditions idéales. Mais certains mettent en avant certains
aspects. A Pétrus, sur la commune de Pomerol, par exemple, ceux sont les pieds
de merlot posés sur une concentration exceptionnelle d’argile ‘bleue’ qui
participent au mythe du domaine. Au château d’Yquem, à Sauternes, c’est le
microclimat de l’automne qui tient la vedette. Dans l’ensemble des vignobles
français et étrangers prestigieux, la combinaison de la sélection des plants,
la climatologie, l’exposition des vignobles entrent dans l’élaboration de la
perfection.
Un vin de luxe s’inscrit souvent dans une double logique : d’un côté
la tradition et les savoirs-faire ancestraux ; de l’autre, la modernité et
les avancées technologiques. La construction de nouveaux chais et cuveries
répondent à cette exigence. Pour maintenir son statut de superstar, les
domaines prestigieux investissent dans des outils de production somptueux sur
de grands espaces alliant références aux traditions et technologies avancées.
Le chai et les cuviers du Château Cheval Blanc illustrent parfaitement cette
association : les cuves en forme d’amphores sont un merveilleux clin d’œil
à la tradition tout en étant des bijoux de haute technicité permettant une
maîtrise parfaite des fermentations. Les vins mythiques savent parfaitement
jouer avec l’ultra modernité. Pour maintenir leurs avancées et avantages sur
leurs concurrents, il est d’ailleurs impératif qu’ils empruntent les tournants
technologiques apparaissent au fil des ans.
En fonction des régions viticoles, les arguments du luxe sont parfois
différents. Dans le bordelais, les discours sur la « qualité des vins
» qui sont classés dans le registre du luxe évoquent généralement des terroirs
exceptionnels, des conditions climatologiques particulières, des outils de
production performants mais aussi, les savoirs-faire des hommes qui sont
présentés comme de véritables artisans. En champagne, l’expertise du vinificateur,
est tout particulièrement mise en avant. Sa science des assemblages l’érige au
statut de magicien, de gardien du mythe. Le champagne est sans aucun doute
l’une des plus anciennes icônes du luxe dans le domaine du vin. Vin des rois,
des princes et des nobles, il est véhicule l’image festive du luxe. La première
maison de champagne créée par Nicolas Ruinart en 1729 à Reims s’est développée
sur des standards d’excellence. La recherche de la meilleure qualité ‘produit’
a été une démarche assumée par la marque depuis sa création. Bien d’autres
maisons champenoises ont empruntées cette voie.
Dans la région bordelaise, l’expertise et les secrets de fabrication des meilleurs
œnologues ont construit leur réputation de star à travers le monde. Emile Peynaud
(1912-2004) surnommé le « père de l’écologie moderne » a permis à la vinification d’entrer dans la
science. Aujourd’hui, les plus célèbres wine-makers
- Michel Roland, Denis Dubourdieu, Stéphane Derenoncourt, Eric Boissenot,
Hubert de Boüard, Jean Luc Thunevin en France ou encore Alberto Antonini en
Italie - perpétuent cette image d’un savoir-faire exceptionnel qui permet à un
vignoble d’envisager de transformer le
vin en or.
Indéniablement, la classification de 1855 des vins de Bordeaux - déterminée
par les courtiers et les négociants bordelais à la demande de l’empereur
Napoléon III - a fait entrer les productions haut de gamme de cette région dans
l’univers du luxe. Dès sa publication, ce classement officiel est apparu comme
un moteur de la consommation de produits de haute qualité et également comme un
accélérateur pour le commerce à l’exportation. Les mieux notés en 1855,
c’est-à-dire les Châteaux Latour, Lafite, Haut-brion et Yquem bénéficièrent
immédiatement d’une immense notoriété qui ne les a plus jamais quittés.
La célébrité de Pétrus est une histoire plus récente. Les parcelles
inscrites pour la première fois au cadastre du village de Pomerol en 1810, sont
désignées comme produisant des vins certes de bonne qualité mais non comme des
vins exceptionnels. L’édition du Cocks
& Féret de 1868 répertorie les productions des 7 hectares de vignes en
« cru bourgeois et 1er artisan » après le Vieux Château
Certan et au même niveau que le château Trotanoy. Ce n’est qu’à la fin du XIXe
siècle, grâce aux efforts répétés et soutenus de ses propriétaires, que Pétrus
entre dans la catégorie des vins de grande classe ; aux Expositions
Universelles de Paris de 1878 puis de 1889, le domaine s’était vu décerner la
médaille d’or, récompense qui a assis sa réputation grandissante à l’époque.*
Mais, c’est surtout sous l’influence du partenariat entre Madame Loubat et les
Etablissements Jean-Pierre Moueix qui obtint l’exclusivité des droits de
commercialisation de la marque à partir de 1945 que le domaine gagna une
réputation internationale. Bien sûr, la volonté et le travail méticuleux de
Madame Loubat, la propriétaire de Pétrus à cette période, a également participé
activement à cette réussite commerciale.
En ce qui concerne les deux nouveaux grands crus classés A de Saint Emilion,
Angelus et Pavie, c’est au travail acharné de leurs propriétaires respectifs
que l’on doit cette montée au firmament des vins de l’appellation.
Parfois, d'autres facteurs positionnent une boisson alcoolisée dans les codes du luxe. C'est le cas de la marque Armand de Brignac produite par Cattier située à Chigny-les-Roses dans la Marne, a investi l'univers musical du Rap. En 2006, la cuvée "Ace of Spades" (As de Pique) a trouvé les faveurs du chanteur Jay Z. La marque présente dans le clip 'Show Me What You Got' a remporté un succès phénoménal auprès des rappeurs, devenant immédiatement un objet culte. Le chanteur a d'ailleurs acheté la marque en 2014.
Le ‘Branding’ qui consiste à gérer les marques commerciales et en
particulier d’accompagner et de pérenniser l’identité et l’image de la marque
d’un domaine est un élément essentiel du secteur du luxe. Il joue un rôle
essentiel dans le maintien des positions acquises sur le marché du luxe et
notamment des plus grands vins. Les produits appartenant au cercle fermé des
crus exceptionnels sont liés à cet équilibre si difficile à acquérir entre accents de la tradition et appels à la modernisation.
Là réside l'un des mystères du luxe.
*
Jean Castarède, Histoire du luxe en
France des origines à nos jours, groupe Eyrolles, 2007, p 246.
Biographie de l’auteur :
Loïc Le Roy est bordelais. Il réside à Montréal au Canada depuis 2016.
Après avoir suivi des études en marketing, techniques de commercialisation et exportation à Bordeaux, il a travaillé une dizaine d’années en tant que responsable des ventes pour un groupe agro-alimentaire international, diffusant une large gamme de produits destinés aux enseignes de la Grande Distribution. En 1989, Loïc s’oriente vers le coaching en performance auprès de capitaines d’industrie en Asie. A partir de 1994, par le biais de dirigeants d’entreprises, il met en place des formations spécifiques en préparation psychologique destinées aux athlètes de haut niveau. Son attrait pour la performance humaine l’a amené à présenter en 2008 une thèse en Sciences du Sport à l’Université de Bordeaux intitulée : « La préparation psychologique du sportif : l’esprit et la performance du Moyen Age à nos jours ».
Dès 1999, enseigne dans plusieurs écoles de commerce le management des unités commerciales, la communication et le marketing du vin.
Depuis avril 2012, il publie des articles sur son blog Mémoires de Vins
En 2014, il s'est spécialisé en "psychologie de la dégustation des vins et spiritueux" ; l'objectif étant d'aider les participants à mieux comprendre, appréhender et gérer les processus perceptifs et émotionnels à l'oeuvre au cours des dégustations.
Il conçoit et édite des programmes axés sur la performance humaine qui sont accessibles sur son site loicleroyonline.com