samedi 1 février 2014

Australie : un nouvel ‘El Dorado’ pour les investisseurs Chinois ?


Article par Louise CURRAN, Toulouse Business School, France & Michael THORPE, Curtin Business School, Perth, Australie

Nous venons de commencer un projet de recherche afin de mieux comprendre l’évolution des investissements chinois dans la filière vin, ainsi que les motivations qui impulsent ces investissements. Pour élucider cette question, nous avons décidé de  comparer deux régions distinctes : celle de l’Oeust de l’Australie (WA) et celle de Bordeaux. En décembre 2013, nous avons conduit la recherche qui porte sur l’Australie ; nous avons interviewé des propriétaires et des gestionnaires de vignobles, des agents immobiliers et le gouvernement locale. L’investissement direct étranger (IDE) et tout particulièrement celui émanant des sujets chinois, est une question assez controversée en Australie. Il y a eu des investissements importants dans le secteur des produits de base et de l’agro-alimentaire, et certains s’inquiètent de l’impact de ceux-ci sur la capacité de l’Australie à gérer ses propres ressources naturelles sur le long terme. En réalité, l’Australie a toujours été dépendant des IDE dans le secteur agricole (Union Européenne, Japon et Canada entre autres). En plus, comme un rapport récent de KPMG l’a souligné, seulement 1% des terres agricoles australiennes sont entre les mains des investisseurs chinois. Les craintes qui portent sur ce thème sont donc certainement exagérées.

La région australienne sur laquelle nous avons fait notre recherche est relativement peu importante en termes de production, mais les vins qui en sont issus sont parmis les meilleurs d’Australie – et tout particulièrement les vins de la région de Margaret River dans le Sud-Ouest de l’Etat. L’investissement Chinois est généralement bienvenu dans la région. Mais, même si il peut-être considéré comme marginal pour le moment, tous nos interlocuteurs prévoient une forte augmentation dans l’avenir, suite à l’intérêt qu’ils portent à la région actuellement.

L’investissement Chinois le plus connu et le plus médiatisé est celui de la société Ferngrove


Il s’agit d’un producteur de taille moyenne d’une superficie de 250ha. L’entreprise représente entre 5 et 7% de la production régionale. Monsieur Ma, un investisseur chinois dont l’entreprise principale est spécialisée dans le secteur de la métallurgie a acquit 88% de l’entreprise. L’investissement a connu un franc succès et a reçu des bons échos dans le media. Nous avons parlé avec le gérant – Anthony Wilkes – qui est aussi actionnaire. Il avait une attitude très positive par rapport à son investisseur, ses motivations et sa volonté d’investir dans l’entreprise : ‘Il faut qu’on arrête de parler des « investissements étrangers » et plutôt parler d’ « investissements ». Celui-ci n’était pas limité seulement au vignoble puisque Mr Ma a aussi créé un système de distribution en Chine avec 60 magasins spécialisés. Même si l’entreprise continue d’approvisionner le marché local, il en est beaucoup moins dépendant qu’avant.

Les bouteilles de vin Ferngrove destinées au marché Australien


Mr Wilkes apprécie tout particulièrement la vision à long terme de son partenaire chinois. Il a aussi indiqué que le fait d’avoir leur propre système de distribution en Chine était de plus en plus avantageux, comme le nombre d’acteurs sur le marché a explosé récemment et qu’il est devenu de plus en plus compétitif et difficile a appréhender.
Une complication est apparue suite à leur entrée sur le marché Chinois : il a été nécessaire d’adapter leurs emballages au marché local. L’objectif marketing pour pénétrer le marché chinois a été de rendre les emballages ‘plus français’. La société a donc changé les étiquettes pour donner une image plus traditionnelle et des machines à bouchon ont dû être installées pour se substituer aux machines à capsules à vis adoptées depuis de nombreuses années sur le marché australien. Mr Wilkes n’était pas gêné de nous parler de son expérience avec son partenaire Chinois. 

Le siège social de la société Ferngrove


Nous avons eu plus du mal à s’entretenir avec les autres entreprises locales qui ont été visées par des investissements chinois. Nous nous sommes entretenus par téléphone avec le gérant chinois d’un autre vignoble – Three Oceans –a cheté suite à la faillite de l’entreprise d’origine Palandri en 2008. Cet investissement semble orienté plutôt vers le marché chinois, mais le gérant nous a indiqué qu’ils exportent aussi en Asie de Sud Ouest et notamment à Singapour et en Thaïlande. Ils n’ont pas monté leur propre système de distribution en Chine, mais vendent par l’intermédiaire d’agents. Un autre vignoble local – Palinda– appartient lui aussi a un investisseur Chinois et semble être  orienté exclusivement vers le marché chinois. Enfin, une grande entreprise chinoise ‘d’agro-business’ – Grand Farms – a acheté le vignoble Amelia Park il y a trois ans et cherche aujourd’hui à augmenter sa présence dans le secteur.

Les motivations des acteurs qui cherchent des investisseurs chinois sont similaires à ceux des acteurs Français dans le secteur. En Australie, la filière vin a été frappée par une mauvaise combinaison d’un dollar fort, une réduction de la demande sur les deux marchés clés, Royaume Uni et Union Européenne, et une surcapacité de production. Beaucoup de vignobles travaillent actuellement à perte. La nécessité de réinvestir semble clair, mais les banques locales sont frileuses. Le secteur est considéré comme trop risqué, a cause de la vulnérabilité au temps, mais aussi parce que sa compétitivité à long terme est menacée par un dollar fort. Dans ce contexte, les capitaux étrangers se présentent clairement comme une option intéressante

Les motivations des investisseurs chinois sur le sol australien sont similaires à celles employées en France, qui sont très bien décrites dans un article récent sur ce blog. S’assurer l’approvisionnement pour le marché chinois, ainsi que son authenticité est un facteur majeur. Le statut social qui provient de l’acquisition d’un vignoble est également perçu comme une motivation essentielle, même si un agent immobilier nous a accordé qu’en Australie ils n’ont pas ‘le facteur ‘Wow!’ qui caractérise l’achat d’une propriété en France bénéficiant d’une architecture haut de gamme et d’une histoire particulière si spécifique aux châteaux français. Un autre objectif cité était la nécessité pour les hommes d’affaires chinois de diversifier leurs intérêts commerciaux, autant en termes de secteurs, qu’en termes géographiques.
Une motivation assez spécifique à l’Australie est un visa spécial pour les investisseurs importants. Ce Visa – Significant Investor Visa - donne un droit de séjour permanent en Australie aux investisseurs de plus de $5 millions. Les agents immobiliers indiquent que ce facteur est jugé comme majeur pour les chinois qui cherchent à s’investir dans les vignobles australiens. Comme l’un d’entre eux nous l’a confié : ‘C’est un élément important. Je dirai jusqu’à 50% de la motivation’. Un autre facteur clé est le prix. Pour un hectare à Margaret River, les prix tournent autour de AUS $50,000 et dans les régions moins prestigieuses, le tarif descend jusqu'à $15,000 australiens. Par rapport aux prix ‘Hollywoodien’ de Bordeaux, les vignobles Australiens semblent donc bon marché.
Notre objectif aujourd’hui est de complémenter le travail fait en Australie avec des recherches similaires dans la région de Bordeaux. A ce titre, nous cherchons des interlocuteurs dans la filière – production et distribution de vin – pour s’entretenir sur l’évolution du secteur en termes des marchés et investissements en général, mais aussi par rapport à la question spécifique de l’investissement chinois et de l’impact que cela pourrait avoir sur le développement du secteur à court et moyen terme. Si vous êtes disposé à nous aider, nous vous prions de nous contacter par mail - l.curran@tbs-education.fr en anglais ou en français.

Louise CURRAN est professeur/chercheur à Toulouse Business School, où elle enseigne le business international. Sa recherche est centrée sur les flux commerciaux et les investissements mondiaux, avec un accent sur l’Union Européenne. Elle est de nationalité irlandaise.

Michael THORPE est professeur ‘emeritus’ et ancien chef du département d’Economie à Curtin Business School à Perth en Australie. Sa recherche est centrée sur le commerce international. A Curtin, il est responsable du ‘MOOC’ Economique (cours ouverts sur internet) économique, qui traite du commerce entre l’Australie et la Chine.


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