mardi 7 juillet 2015

Vin et Luxe : 4. Qualité Des Vins

 La qualité d’un vin de luxe repose sur une multitude de facteurs : les spécificités du terroir et des sols, les capacités de drainage, la surface en production, l’adaptation des cépages, l’âge de la vigne, la climatologie, les traitements de la vigne, les méthodes et la régularité du travail sur les surfaces cultivées ; mais aussi, la méthodologie des vendanges, les outils de production, le travail dans les chais, l’assemblage, l’élevage et l’expertise du vinificateur. Obtenir l’excellence à l’issu de ce long et précautionneux processus est question de constance, d’équilibre et d’expérience. Le résultat obtenu tient souvent de la magie.

La qualité du terroir associé aux conditions climatiques et aux cépages les mieux adaptés aux sols sont autant de facteurs qui favorisent la production souvent les éléments de vins d’exception. Bien entendu, tous les vignobles remarquables bénéficient de conditions idéales. Mais certains mettent en avant certains aspects. A Pétrus, sur la commune de Pomerol, par exemple, ceux sont les pieds de merlot posés sur une concentration exceptionnelle d’argile ‘bleue’ qui participent au mythe du domaine. Au château d’Yquem, à Sauternes, c’est le microclimat de l’automne qui tient la vedette. Dans l’ensemble des vignobles français et étrangers prestigieux, la combinaison de la sélection des plants, la climatologie, l’exposition des vignobles entrent dans l’élaboration de la perfection.

Un vin de luxe s’inscrit souvent dans une double logique : d’un côté la tradition et les savoirs-faire ancestraux ; de l’autre, la modernité et les avancées technologiques. La construction de nouveaux chais et cuveries répondent à cette exigence. Pour maintenir son statut de superstar, les domaines prestigieux investissent dans des outils de production somptueux sur de grands espaces alliant références aux traditions et technologies avancées. Le chai et les cuviers du Château Cheval Blanc illustrent parfaitement cette association : les cuves en forme d’amphores sont un merveilleux clin d’œil à la tradition tout en étant des bijoux de haute technicité permettant une maîtrise parfaite des fermentations. Les vins mythiques savent parfaitement jouer avec l’ultra modernité. Pour maintenir leurs avancées et avantages sur leurs concurrents, il est d’ailleurs impératif qu’ils empruntent les tournants technologiques apparaissent au fil des ans.

En fonction des régions viticoles, les arguments du luxe sont parfois différents. Dans le bordelais, les discours sur la « qualité des vins » qui sont classés dans le registre du luxe évoquent généralement des terroirs exceptionnels, des conditions climatologiques particulières, des outils de production performants mais aussi, les savoirs-faire des hommes qui sont présentés comme de véritables artisans. En champagne, l’expertise du vinificateur, est tout particulièrement mise en avant. Sa science des assemblages l’érige au statut de magicien, de gardien du mythe. Le champagne est sans aucun doute l’une des plus anciennes icônes du luxe dans le domaine du vin. Vin des rois, des princes et des nobles, il est véhicule l’image festive du luxe. La première maison de champagne créée par Nicolas Ruinart en 1729 à Reims s’est développée sur des standards d’excellence. La recherche de la meilleure qualité ‘produit’ a été une démarche assumée par la marque depuis sa création. Bien d’autres maisons champenoises ont empruntées cette voie.

Dans la région bordelaise, l’expertise et les secrets de fabrication des meilleurs œnologues ont construit leur réputation de star à travers le monde. Emile Peynaud (1912-2004) surnommé le « père de l’écologie moderne »  a permis à la vinification d’entrer dans la science. Aujourd’hui, les plus célèbres  wine-makers - Michel Roland, Denis Dubourdieu, Stéphane Derenoncourt, Eric Boissenot, Hubert de Boüard, Jean Luc Thunevin en France ou encore Alberto Antonini en Italie - perpétuent cette image d’un savoir-faire exceptionnel qui permet à un vignoble d’envisager  de transformer le vin en or.

Indéniablement, la classification de 1855 des vins de Bordeaux - déterminée par les courtiers et les négociants bordelais à la demande de l’empereur Napoléon III - a fait entrer les productions haut de gamme de cette région dans l’univers du luxe. Dès sa publication, ce classement officiel est apparu comme un moteur de la consommation de produits de haute qualité et également comme un accélérateur pour le commerce à l’exportation. Les mieux notés en 1855, c’est-à-dire les Châteaux Latour, Lafite, Haut-brion et Yquem bénéficièrent immédiatement d’une immense notoriété qui ne les a plus jamais quittés.  



La célébrité de Pétrus est une histoire plus récente. Les parcelles inscrites pour la première fois au cadastre du village de Pomerol en 1810, sont désignées comme produisant des vins certes de bonne qualité mais non comme des vins exceptionnels. L’édition du Cocks & Féret de 1868 répertorie les productions des 7 hectares de vignes en « cru bourgeois et 1er artisan » après le Vieux Château Certan et au même niveau que le château Trotanoy. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle, grâce aux efforts répétés et soutenus de ses propriétaires, que Pétrus entre dans la catégorie des vins de grande classe ; aux Expositions Universelles de Paris de 1878 puis de 1889, le domaine s’était vu décerner la médaille d’or, récompense qui a assis sa réputation grandissante à l’époque.* Mais, c’est surtout sous l’influence du partenariat entre Madame Loubat et les Etablissements Jean-Pierre Moueix qui obtint l’exclusivité des droits de commercialisation de la marque à partir de 1945 que le domaine gagna une réputation internationale. Bien sûr, la volonté et le travail méticuleux de Madame Loubat, la propriétaire de Pétrus à cette période, a également participé activement à cette réussite commerciale.



En ce qui concerne les deux nouveaux grands crus classés A de Saint Emilion, Angelus et Pavie, c’est au travail acharné de leurs propriétaires respectifs que l’on doit cette montée au firmament des vins de l’appellation.

Parfois, d'autres facteurs positionnent une boisson alcoolisée dans les codes du luxe. C'est le cas de la marque Armand de Brignac produite par Cattier située à Chigny-les-Roses dans la Marne, a investi l'univers musical du Rap. En 2006, la cuvée "Ace of Spades" (As de Pique) a trouvé les faveurs du chanteur Jay Z. La marque présente dans le clip 'Show Me What You Got' a remporté un succès phénoménal auprès des rappeurs, devenant immédiatement un objet culte. Le chanteur  a d'ailleurs acheté la marque en 2014. 

Le ‘Branding’ qui consiste à gérer les marques commerciales et en particulier d’accompagner et de pérenniser l’identité et l’image de la marque d’un domaine est un élément essentiel du secteur du luxe. Il joue un rôle essentiel dans le maintien des positions acquises sur le marché du luxe et notamment des plus grands vins. Les produits appartenant au cercle fermé des crus exceptionnels sont liés à cet équilibre si difficile à acquérir entre accents de la tradition et appels à la modernisation. Là réside l'un des mystères du luxe.  


* Jean Castarède, Histoire du luxe en France des origines à nos jours, groupe Eyrolles, 2007, p 246.


Biographie de l’auteur :
Loïc Le Roy est bordelais. Il réside à Montréal au Canada depuis 2016. 
Après avoir suivi des études en marketing, techniques de commercialisation et exportation à Bordeaux, il a travaillé une dizaine d’années en tant que responsable des ventes pour un groupe agro-alimentaire international, diffusant une large gamme de produits  destinés aux enseignes de la Grande Distribution. En 1989, Loïc s’oriente vers le coaching en performance auprès de capitaines d’industrie en Asie. A partir de 1994,  par le biais de dirigeants d’entreprises, il met en place des formations spécifiques en préparation psychologique destinées aux athlètes de haut niveau. Son attrait pour la performance humaine l’a amené à présenter en 2008 une thèse en Sciences du Sport à l’Université de Bordeaux intitulée : « La préparation psychologique du sportif : l’esprit et la performance du Moyen Age à nos jours ».
Dès 1999, enseigne dans plusieurs écoles de commerce le management des unités commerciales, la communication et le marketing du vin. 
Depuis avril 2012, il publie des articles sur son blog Mémoires de Vins
En 2014, il s'est spécialisé en "psychologie de la dégustation des vins et spiritueux" ; l'objectif étant d'aider les participants à mieux comprendre, appréhender et gérer les processus perceptifs et émotionnels à l'oeuvre au cours des dégustations. 

Il conçoit et édite des programmes axés sur la performance humaine qui sont accessibles sur son site loicleroyonline.com